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Ultra Marin

Par Christian Mabon

Je ne sais ce qui m’a poussé à m’inscrire sur ce trail long de 56 km. Peut-être l’oubli des souffrances du trail du bout du monde l’année dernière et ces 9h30 de course sur les côtes bretonnes ? Je ne sais toujours pas, mais, j’ai eu cette envie de recommencer cette aventure au bout de moi-même, de me confronter à la fatigue, à la douleur, mais aussi la persévérance, l’obsession, l’acharnement, l’entêtement au prix d’efforts sans nom…Ou tout simplement, la recherche de ce plaisir que je ne trouve plus que dans des longues distances épuisantes.

Alors, à Lausanne, j’en parle à des amis, qui ne me disent ni oui, ni non, peut-être, pourquoi pas, à voir etc…Toutes ces formules qui finalement disent oui. Alors, je recherche une épreuve sur internet. Je me suis souvenu, c’est étrange, lors du trail du bout du monde, j’étais au 40 ème kilomètre, et un coureur me rejoint. On discute un peu, et il me confie que l’Ultra Marin est beaucoup plus facile que celui du bout du monde. Cela me revient en mémoire, et je m’inscris donc pour la newsletter, afin d’être informé des modalités d’inscription. Un peu avant, j’en parle à Daniel et Thierry qui cette fois me donne leur accord. Le jour J, les inscriptions sont faites, je prends une réservation pour un hôtel à proximité de la ligne d’arrivée., moins d’un kilomètre, en sachant que ce jour J, ce kilomètre sera le plus dur.

Enfin le jour du départ arrive ! Daniel, Thierry et moi nous nous retrouvons à la Gare Montparnasse, et déjà, une première mauvaise nouvelle, le TGV a une demi-heure de retard, ce qui complique le retrait des dossards…L’arrivée à Vannes, puis à l’hôtel se fait rapidement, et enfin, dans les temps, nous sommes devant le village de l’Ultra-Marin à retirer nos dossards. Maintenant, place à la promenade, à la pizzeria et à la traditionnelle assiette de pâtes !

Le départ, le lendemain, est à 10h, mais les horaires des navettes nous emmenant à Auray, ville du départ, se fait beaucoup plus tôt, à partir de 7h30…

Nous patientons à Auray, assis à une terrasse de café en sirotant de l’eau gazeuse sous un temps un peu frais en devisant sur la journée à venir, quelques souvenirs, quelques projets… mais à chaque fois entrecoupé par des longs silences, premiers signes de concentration, de la tension qui monte… Puis finalement, on se rend dans le sas, pas très bien indiqué d’ailleurs, car je pars dans la deuxième vague…La pression monte dans le sas, à mesure que l’heure du départ s’approche. C’est vrai, l’estomac se noue par l’appréhension de la course. Il me faudra une dizaine de kilomètres pour que cette désagréable sensation disparaisse… Les dernières plaisanteries, les dernières photos, les dernières poignées de main, chacun pense à cette journée devant lui, et le départ est donné !

Le premier kilomètre se fait dans la ville, par le pont afin de suivre la rivière d’Auray jusqu’au bord de mer, j’ai encore le temps d’admirer ces maisons, avant de prendre le sentier côtier. Les premiers kilomètres sont très agréables, en forêt, une température fraîche, un sentier recouvert d’aiguilles de pin. Je ralentis, car je suis entraîné par le peloton plus rapide que moi. Je me fais beaucoup doubler, mais je garde ma première allure cible, le 6 30 que je me suis fixé. Peu d’obstacles, peu de route…Je traverse le pont du Bono qui offre un panorama époustouflant sur la rivière. Après, les premières difficultés apparaissent, des faux plats montants sur route, exposés en plein soleil. La chaleur monte rapidement. Je marche tranquillement pour récupérer et ne pas trop me fatiguer, reprenant ma course avec cette allure cible en tête. Les kilomètres passent et je ressens la faim me gagner malgré un petit déjeuner copieux. Les gels avalés toutes les demies heures ne suffisent plus, la barre de céréale non plus. J’arrive au 22 -ème, à Larmor Baden, au ravitaillement. Juste le temps d’apercevoir Daniel et Thierry qui s’apprête à repartir. Quelques mots échangés, des encouragements, et je m’approche des tables pour avaler sandwichs, soupe, boire, des tucs, bananes. Je mange beaucoup trop, je m’en apercevrai plus tard.

20 minutes après, je repars, et deux kilomètres après, je rencontre Roger, le vétéran du club. Je m’arrête, je le remercie chaleureusement de ses encouragements, cela fait un bien fou de pas être un participant anonyme ! Bien sûr, une petite photo et je repars… Au 26 ème, les effets de mon repas se font sentir, j’ai sommeil, la digestion est difficile et le parcours se complique. Le sentier côtier devient plus technique, racines, rochers, pentes se multiplient obligeant à alterner marche et reprise de course, accroissant la fatigue, cassant le rythme. La chaleur, sur les parties sur route devient accablante. Je regarde à peine le paysage, même si celui-ci est magnifique. Je me concentre sur le chemin, à ne pas m’endormir. je suis tenté plusieurs fois par m’allonger quelques minutes, oublier la fatigue,  récupérer, mais je ne peux pas. Je me fixe comme but d’arriver au 42 ème kilomètre, le prochain ravitaillement.

Quelques satisfactions malgré tout, je commence à dépasser certains participants, mais si peu…Ces kilomètres furent un enfer, la fatigue et la chaleur m’écrasent, mes yeux se ferment, je bute plusieurs fois sur les racines, je suis presque comme un automate, je m’accroche au coureur devant moi, je ne vois plus les balises. Enfin, la baie d’Arradon s’ouvre devant moi. Curieusement, après le 38 ème, je reprends un peu plus de rythme, la digestion se fait plus discrète, comme la fatigue et le chemin suit la côte, les plages, sur la digue. Là, on est en file indienne, courant sur l’allure du moins rapide. Difficile de doubler, peu d’espace pour deux coureurs côte à côte. J’avance à bonne allure, toujours au soleil, mais la fraîcheur du bord de mer est là, cela en devient presque agréable. J’ai envie de me baigner, d’ôter la sueur, ce côté poisseux, la poussière que je vois sur les autres coureurs en me disant que je dois leur ressembler. Finalement, au détour d’une pointe, un sentier nous mène au ravitaillement. Là, je ne vois pas Thierry et Daniel, mais peu importe, je me précipite vers une table, prend une bouteille de ST Yorre, je m’assois, et je commence à boire doucement. je ferme les yeux, et j’ai dû m’endormir pendant quelques minutes car je me réveille en sursaut. Et surprenant, l’envie de dormir a disparu. je me sens presque en pleine forme. J’entends des coureurs parler des 17 kilomètres restants, j’en avais compté 14. C’est vrai, Thierry, la veille, nous avait parlé de 59 kilomètres, je n’ai pas voulu le croire. Autour de moi, c’est bien 17 dont tous les coureurs parlent. Je dois me résigner et l’accepter, mais c’est difficile, ces trois kilomètres seront durs, c’est idiot, mais je ne les avais pas anticipés.

Au final, je serais resté à peine quinze minutes. Maintenant, le parcours devient plus simple, moins pentu, plus roulant. A part la traversée d’une forêt et d’un sentier sinueux, je suis la route ou des chemins très larges. Je ressens les bienfaits du coca, de l’eau, car mon allure atteint de nouveau les 6 30. Quand je passe le 50 ème, une petite émotion m’étreint, car je m’étonne moi-même de ce chiffre sur l’écran de ma montre. Un petit sentiment de fierté commence à poindre. Je me dis maintenant que je ne peux plus abandonner, que je dois poursuivre. Alors, je continue. Pas d’obstacles sur la route, alors, mes pensées divaguent, j’en oublie presque la course. C’est bientôt l’arrivée à Vannes qui s’annonce, ou du moins, je m’en approche, le paysage devient plus urbain. Je commence à comprendre les difficultés d’un parcours très roulant. Je n’arrive plus à récupérer. Alors, je marche quelques centaines de mètres puis, lentement, je me remets à courir, d’abord en marche rapide, puis naturellement la course reprend le dessus. J’arrive au bout de mes forces, je commence le décompte à rebours, plus que 7, plus que 6. Je cours, je marche. Autour de moi, le même principe, je double et suis doublé par les mêmes coureurs, c’est étrange. Curieusement, la perspective d’arriver me donne de l’énergie. je retrouve mon allure de 6 30 sur les derniers kilomètres, je cours encore trois kilomètres comme dans un rêve, sans m’arrêter, dans un brouillard, ne faisant plus attention à ce qui m’entoure. Je continue à courir, je n’ose plus m’arrêter de peur de ne plus repartir. La fatigue me pressure, m’envahit. Je me sens lourd.

Ca y est, le 56 ème est passé, encore 3. Je double les coureurs qui marchent, je gagne quelques places. J’entends des pas derrière moi, j’entraîne des coureurs à repartir, à me suivre. Mon allure s’écroule, 7 puis 7 10, 7 30, mais j’entends la sono, je vois les tentes du village, plus qu’un kilomètre et demi, je remonte le long du port. A côté, j’aperçois sur le pont d’un bateau une fête, de la musique… Peu importe, plus qu’un, je visualise le parcours, dépasse les tentes, remonte jusqu’à la route, et ensuite fait demi-tour. 100 mètres, je m’engage sur la dernière ligne droite, je vois le tapis bleu, j’éprouve une joie immense à courir ces quelques dizaines de mètres sur ce tapis bleu… Encore quelques secondes et je passe enfin la ligne d’arrivée. Beaucoup d’émotions, la joie, le plaisir, la fierté. Je sens monter des larmes. Ma montre indique 59,2 km et 8h35. Je pleure quasiment de joie, de fatigue, d’épuisement, mais peu importe, je l’ai fait, je ne peux plus marcher, bouger. Mes jambes sont douloureuses, mes pieds en feu, le visage et les épaules me brûlent, l’estomac ravagé.

Je prends mécaniquement la médaille, le t-shirt. Je me trouve un muret et je reste assis pendant de longues minutes, perdu, hébété au milieu de la foule. Je n’ai pas bougé pendant une heure. Après, un appel de Daniel me ramène à la réalité. Roger nous attend pour une soirée rhum et pizza chez lui avec des amis. Cela est suffisant pour retourner à l’hôtel, reprendre figure humaine. Je remercie Roger de m’avoir accueilli avec mes espadrilles !!!

6 Comments

  1. Thierry Berthelemy

    Super article qui résume bien ce week-end Christian. Un grand merci à Roger, Dominique et leurs amis pour les encouragements et la soirée d’après course.
    Merci à Christian pour l’organisation de l’hôtel et de cette belle découverte d’une épreuve de l’Ultra marin.

  2. Daniel COSSEC

    Bel article Christian qui résume le super week-end dans le Golf du Morbihan. Merci Thierry pour ton accompagnement en course qui a contribué à la réussite de cette belle sortie sur les sentiers côtiers bretons.

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