Chaque expérience de Marathon est unique mais chacune se ressemble sur un point : concilier la fatigue corporelle qui s’installe avec un mental émollient, qui, à un certain moment nous empêche de savoir que deux plus deux sont quatre. Sevré de course depuis deux ans sauf le dernier championnat de France des dix kilomètres, , j’ai choisi de courir le Marathon de Tours qui a le rare privilège d’offrir le charme ligérien aux partants, la douceur des fleurs et des parterres de Villandry, de Cheverny ou de Meung sur Loire.
L’aspect culturel et patrimonial a été cette année particulièrement soigné. Quittant la ville par le pont Napoléon, nous étions conduits à traverser les jardins de l’abbaye de Marmontier, petit passage herbeux, pour rejoindre le vieux Tours, le parcours glissant ensuite jusqu’au moulin médiéval de Ballan Miré pour emprunter le magnifique parcours de « la Loire à vélo » sur la rive gauche du Cher.
Sur ces longues lignes droites nous n’étions guère que huit cents et sans prompt renfort nous finîmes à six cents mais il y avait un vingt et un dix kilomètres le même matin, rassemblant trois mille partants endiablés.
Le grand plaisir de ce Marathon plat (D 56 +) n’est pas uniquement dans les paysages verdoyants et le vent qui caresse les feuillages et vos joues c’est celui une organisation excellente ; En sus de la remise des dossards, par courrier en ce qui me concerne, nous avions une visite du « village » qui proposait la réclame des 42 kilomètres locaux, vous donnait un aller-retour gratuit par tramway pour se rendre au départ, et le matin, une consigne très surdimensionnée avec un accueil ouaté, le départ étant à huit heures, à potron-minet.
Derechef, manquant de repère mais décidé à consulter uniquement ma montre je m’aperçus, d’une grande facilité à suivre l’objectif modeste de six minutes au kilomètre. Comment expliquer cette forme relative ? un peu d’entrainement peut-être mais surtout la présence des yeux bleus, des mots bleus dirait le poète, de tous ces athlètes du Centre Ouest qui ont la délicieuse apparence des chevelures blondes légèrement vénitiennes aux yeux de saphir. C’est un moment doux que de se laisser aller dans ce peloton et de vérifier à chaque fois que l’on dépasse une ou un athlète que la réalité est belle. Yeux bleus devant, derrière et partout dans mon esprit étaient là pour m’accompagner et soutenir l’effort.
J’avais donc de la liberté pour résoudre le problème proposé par un camarade asphaltien, disciple de Bourbaki, qui m’avait demandé si mon dossard, le 45029, était un nombre premier. Je ne vous donnerai pas ma méthode mais j’ai résolu cette petite énigme dès le sas de départ, sans diviser 45029 trois fois par dix puisque j’ai regardé les plaques numérologiques des motocyclettes officielles qui partout nous entouraient, toutes 37…
Chacun attend au bout de vingt-cinq kilomètres de course, au marathon de Tours, de franchir le pont pour revenir sur la rive droite, aucun moyen de tricher il n’y en a qu’un. Ce pont, à Savonnières, port fluvial magnifique, nous montre une belle série de gabarres ces bateaux à fond plat qui sont la richesse navale de la Loire. A partir de là c’est chacun pour soi car après le trentième kilomètre, on remonte le courant, c’est faux plat pour tous et quelques expressions de désarroi chez les partants désorientés que vous dépassez. Voulant vérifier que les yeux bleus éclairaient toujours mon chemin j’en ai doublé le plus possible car il y avait beaucoup de coureurs peu habitués à l’effort long ou, encore, certains peut-être avaient déjà goûté la dive bouteille de Bourgueil offerte en dotation, Touraine oblige.
Parmi trop lentement à Valencia sur un parcours assez similaire, trop peu affûté à Athènes, j’ai voulu éviter tout malaise et détour par le CHU local et ai suivi mon plan de route, très régulièrement, avec cinq minutes d’arrêts ravitaillements. N’oublions pas les orchestres à la mode tous les cinq kilomètres avec une chanteuse qui susurrait le « Satisfaction » des Stones, qui s’impose dès le quarantième kilomètre.
Arrivée Place de la Victoire, la bien nommée, temps sec et un peu chaud avec pour summum l’interview par le présentateur de la Nouvelle République qui s’intriguait de la splendeur du maillot Asphalte 94. « Est-ce votre premier marathon ? » me demanda-t-il poliment. « Certainement pas mon dernier » dis-je en réplique, fières paroles.