Récit de voyage
De Jean-Michel O.
(Lettre à toutes les générations qui n’ont connu que le GPS, le téléphone portable et Blabla car)
J’ai mis mon vélo dans l’avion mardi 10 Août 1993, pour passer 3 jours à Istanbul. Il me resterait ainsi environ une semaine pour rentrer à Paris à vélo.
Une réalité d’un récit de voyage à vélo, c’est que quand on pédale, on n’écrit pas. Il faut pour cela attendre un vrai moment de repos.
Mon bagage est minimal : en plus de mon vélo, 2 piquets de tente accrochés au cadre avec des élastiques, un sac à dos contenant un toit de tente, un duvet d’été, un rechange, un nécessaire de toilette réduit au minimum, un couteau, passeport, un stylo, 3 feuilles de papier. C’est à peu près tout.
Je dispose pour toute carte d’une photocopie de page d’Atlas. J’ai cassé le compteur du vélo dans l’avion. Je vais vers l’ouest au jugé en m’orientant grâce aux aiguilles de ma montre. Je n’ai pas d’itinéraire précis. Je n’ai pas non plus d’appareil photo. A quoi bon ?
Les kilomètres relevés ci-dessous sont issus d’une recherche d’itinéraire sur Internet. Il va de soi que sans carte, j’ai dû rouler un peu plus.
Alexandroúpolis, la plage, la Grèce, la mer Égée, le temps de vivre.
Samedi 14 Août 1993, 15h.
Je voulais voir la mer…pas celle de d’Aboville, ni celle de Tabarly, ni celle de Colomb, mais celle qui mouille les pages des romans de le Clézio. J’avais décidé de commencer ma lettre comme ça, et puis hier, je me suis dit « J’en ai plein le cul de cette selle, de ces pédales et de tout le reste. Ce qui reste sera fait en train et puis tant pis et puis voilà. (Qu’écrire d’autre, cela seul compte).
Le ciel est bleu. La mer est bleue comme le ciel bleu. On s’y baigne en entier, pas comme la mer de Marmara ou on a juste le temps de mettre les pieds avant de repartir vers l’ouest, loin du soleil au levant, vers le soleil couchant. La mer de Marmara est encore plus bleue, presque verte. Tout est calme.
Istanbul loin de Loti. L’aéroport, puis la ville par une espèce de route plus encombrée que le périphérique parisien, passage obligé pour tous y compris le soir, quand la nuit tombe, y compris quand il pleut. Quand un étranger arrive dans un pays plus pauvre que le sien, il trouve que tout est sale. Les gens sont bruyants, ont des sales habitudes. Les gens sont des voleurs qui cherchent à l’arnaquer. Puis le temps œuvre, et la ville commence à chanter. Les gens ont une culture. Ils ont peu de moyens, mais les font fructifier au mieux. La mosquée bleue, plus fréquentée par les touristes que par les pèlerins. Ste Sophie, ancienne mosquée, ancienne église orthodoxe d’où l’esprit du lieu (celui de Dieu) est parti depuis des lustres.
D’autres mosquées, où l’on vous demande non seulement de vous déchausser avant d’entrer, mais aussi de vous cacher les jambes.
Je suis resté trop peu de temps à Istanbul. Je n’ai pratiquement rien compris et n’ai rien à dire contrairement à d’autres qui y ont longuement séjourné, et ont été fasciné par ces portes de l’Asie. Traverser le Bosphore, histoire de mettre les pieds en Asie. Ne rien y voir, à moins que je n’y ai rien regardé. La Turquie Asiatique à l’air cent fois plus pauvre que la Turquie Européenne. Plus tard, en longeant la côte le long de la mer de Marmara, on ne voit plus que des villas chics type french méditerranéenne.
Aller acheter des timbres à Istanbul : avoir du mal à trouver la poste, encore plus la porte. Un espèce de grand hall avec des gendarmes à la porte qui vous disent qu’on ne rentre pas ici avec un vélo. Vouloir accrocher le vélo dehors. Voir un jeune soldat avec une mitraillette qui n’a pas besoin de beaucoup de vocabulaire pour vous expliquer que votre présence le dérange.
Quand vous rentrez dans une mosquée, à Istanbul, mon Dieu tout est vide ! Où êtes-vous mon Dieu ! A moins que vous n’ayez besoin de bancs, de statues ou d’Icônes. A moins que vous n’ayez besoin que de tapis Persans et de la voix du Muezzin…
Vendredi 13 : Istanbul – quelque part en Turquie à 45km de la frontière grecque.
Samedi 14 : – jusqu’Alexandroúpolis, 1ère ville orientale de Grèce. (2 jours 314 km)
J’ai quitté Istanbul hier matin aux alentours de 8h00. La route est longue et le compteur kilométrique de mon cheval n’a pas résisté à la soute de l’avion. Pas de carte bien précise, rien de plus que la photocopie d’une page d’Atlas et droit vers l’ouest. La route est longue. A droite la mer, à gauche les champs de blé, devant une côte de 2km et derrière une descente au moins aussi longue. La route est longue. Ce soir, je serai en Grèce, au bout de la route (longue la route).
Puis je m’arrête une fois parce que mon sac est lourd et que j’ai mal aux fesses. Celui-ci atterrit en équilibre sur une ficelle accrochée au guidon.
Puis je m’arrête une deuxième fois pour dépenser les dernières lires Turques qui me restent dans une épicerie. La route est longue.
Puis je m’arrête pour remplir mes gourdes une fois deux fois dix fois X fois.
Puis je m’arrête auprès d’un paysan qui, du bord de la route, me propose des pépins de tournesol et un morceau de pastèque. L’aventure a son sucre. Il fait chaud, mais si je veux être en Grèce ce soir, il faut rouler (sur la longue route qui monte et qui descend et qui recommence).
Un bain de pieds sur une plage de Marmara, une pose à Tekirdag. On m’avait prévenu : l’inconvénient des routes en Turquie, se sont les camions. Ils croisent, doublent, ne ralentissent jamais, sauf dans les côtes où ils sont à bout de souffle. Alors dans les descentes, on remet le sac sur le dos, et on évite de trop accélérer pour pouvoir se ranger si on entend une corne de brume derrière son dos.
J’en ai entendu une. Surpris, je me suis rabattu. Il y avait un grand trou dans la plaque de bitume sur le coté et mon sac, alors toujours posé sur le guidon, a volé sur le bas coté. Quelques mètres plus loin, alors que je ramassai mon matériel, je me suis rendu compte que ma chambre à air avait été cisaillée par le choc…réparation. L’aventure a son sel et qu’est-ce que la route est longue.
Dix kilomètres plus loin, il m’est à nouveau arrivé le même tour. Opération rustines chez le garagiste du coin qui m’a payé un coca.
Le soir tombe. La route est dangereuse. Il va falloir s’arrêter, planter la tente sur le bord d’un chemin. Plus d’argent, plus rien à manger, l’aventure a son poivre.
Ce matin, j’ai passé la frontière vers dix heures après 45Km de route. Ce midi, resto ici, et cette nuit, ce sera en train jusque Thessaloniki où la route reprend ses droits.
Nuit du samedi au dimanche passée dans le train Alexandroúpolis – Thessalonique
Dimanche 15 Août, 20h45, beaucoup plus loin vers l’ouest…hôtel.
Dimanche 15: Thessalonique, probablement jusque Kozani. (126 km).
Quand ils m’ont vu arriver en ville, avec mon cheval à la main et le casque en guise de selle qui pendait à on sac, ils m’ont vraiment pris pour un cow-boy.
I’m a long is the road, taking a break in his rush.
La nuit dernière, je l’ai passée dans mon duvet étalé sur une banquette de train ce qui m’a permis quelques légers cycles de sommeil.
Thessaloniki ; devant, son port, j’ai emprunté leur carte à deux allemands qui étaient là et j’ai fait mon itinéraire.
Parti le vent en poupe, je me permets tout de même de tricher en me collant dans l’aspiration d’un tracteur. Au loin, les montagnes sortent tout doucement de la brume. Après une bonne portion de plaine, quelques cafés frappés et des fruits et des mures cueillies là où elles se trouvent, montée à 10%. Une pause pour acheter des prunes. La vielle, qui sait ce qui m’attend, y rajoute des brugnons et me laisse l’addition. Beaucoup plus loin, beaucoup plus haut, des vieux m’ont appris que ce que j’ai vu aujourd’hui n’est qu’un échauffement vis-à-vis de ce qui m’attend demain.
La Macédoine a un petit coté Morvan en moins caillouteux. Il fait chaud, mais le tee-shirt régulièrement plongé dans l’eau s’avère une climatisation efficace. (Ce tee-shirt, savonné le soir, commence à sortir des normes de propretés rencontrées habituellement dans le métro parisien).
Demain, je ne pense pas que j’aurai atteint l’Adriatique. J’y prendrai donc le temps de vivre après-demain.
J’ai besoin de sommeil.
Je passe la nuit dans un hôtel pour 30 francs (moins de 5€), ça n’est pas la Grèce touristique.
Metsovo, Lundi 16 Août, 14h30.
Depuis ce matin, ma moyenne a considérablement baissée. Premièrement, ma moyenne vers l’ouest, puisque la montagne a ses méandres qui imposent parfois des crochets inattendus. Deuxièmement, ma moyenne kilométrique, puisque après un premier col pas très haut, mais tout de même long à froid, la route a disparu pour laisser sa place à un large chemin caillouteux où il faut mettre pied à terre.
Ce matin, pour partir, petite laine et collant. Au sommet du col, une ligne de crêtes. Arrêté, on entend de chaque coté carillonner les cloches des troupeaux.
De l’autre coté, les collines prennent des couleurs ocre alternant avec les gris de la veille.
A croire que rouler ne compte pas, que seules les pauses aient un sens, beaucoup (non, un peu) plus loin, le long de cette route-chemin-route-chemin, l’impression était celle de se trouver en plein désert. Un ruisseau asséché, des collines à perte de vue, cette route qui n’est plus qu’un sentier. Toujours quelques lignes électriques pour vous rappeler que la civilisation n’est pas loin.
Au bout de cette route, plongeon sur un grand axe. Iaonnina 64Km. J’en aurai mis presque 100 de plus. Ça roule.
Lundi 16 : Kozani – Janina : 141km
Mardi 17 : Janina – Igoumenitsa (bord de l’Adriatique). 78 km. Je me rappelle avoir, descendant des montagnes vers la mer, parcouru 20km sans donner le moindre coup de pédale.
Même jour, quelques heures après le coucher du soleil, Ioannina ; camping.
Like a bird…
La ligne de partage des eaux est loin derrière. Ici, il y a un lac qui donne envie d’y piquer une tête. On retrouve des français pour la quasi première fois depuis mon départ. Il faut dire que je ne les cherchai pas particulièrement, mais l’ouest se rapproche.
Quelque chose de frustrant : quand on arrive en ville, n’importe où, en plein milieu de l’après-midi, on ne trouve que des déserts. Les gens dorment. Par ici, les gens vivent le soir. Pour moi, les références sont modifiées. Le soleil est mon maître : mon étoile du berger le matin, mon marchande de sable le soir. La montagne est ma peine, elle est ma récompense. L’eau est mon alliée, la mer est mon but, suis-je encore une énigme ?
Mardi, 21h45, entracte on the ship. Fin du premier acte.
Ce matin, en quittant Ioannina, je m’attendais à une petite grimpette, une bonne descente, et à une plaine alluviale jusqu’à la mer Adriatique. Ça n’en finissait plus. De monts en vaux, de vaux en monts, et la chaleur qui montait (plus chaud ici que le long de la mer Egée). Et après chaque crête, une nouvelle ligne de collines. A trois kilomètres de la côte, on grimpait encore ! La mer ne s’est jamais autant fait désirer.
Cette après-midi, temps de vivre = glander sur la plage ou à une terrasse de café. Une espèce de ville transit saturée de touristes déterminés à aller plus loin.
Je passe la nuit du mardi au mercredi à la belle étoile sur le pont supérieur d’un bateau entre Igoumenitsa et Bari. Pas besoin d’énormément de réflexion pour me rendre compte que je suis à la bourre pour arriver à Paris avant dimanche soir. Je décide donc de prendre le train jusque Bologne, puis Milan. Mon billet de train pris, je passe la journée du mercredi à ne pas faire grand-chose à Bari.
Mercredi (je crois) 21h50, gare de Bologne, Italie.
La peinture à l’huile (le vélo), c’est bien plus difficile, mais c’est bien plus beau que la peinture à l’eau.
- Qu’est-ce que je fais ici ?
- A quoi ça rime d’arriver à Milan à minuit ?
- Pourquoi suis-je parti de Bari en début d’après-midi ?
- Par quel col vais-je passer les Alpes demain ?
- Serai-je en Suisse demain soir ?
- Où est-ce que je vais dormir cette nuit ?
- Pourquoi ne suis-je pas resté un peu plus longtemps sur le bord de l’Adriatique ?
Je veux dire par là : avoir fait une première étape à vélo plutôt qu’en train.
(D’autant plus que le train depuis Bari longe la plage tout du long du trajet et que le fait d’entendre le bruit des vagues donne vraiment envie d’aller y piquer une tête).
Jeudi 19 : Milan – di Ré. (160 km). A Luino, sous le lac majeur, je me rappelle avoir très faim, m’être enfilé un pain complet d’1Kg, un saucisson à l’ail, un grand pot de Nutella, et une bouteille de Coca. Après cela, j’ai repris la route une trentaine de km, puis me suis arrêté à la nuit tombante pour dresser mon toit.
Vendredi matin ; commune di RE, quelque part vers le Simplon et toujours en Italie.
Je n’ai pas beaucoup avancé hier. Après une nuit bâclée à moitié dans le train, à moitié dans la salle d’attente de la gare de Bologne parce qu’on ne peut pas monter dans tous les trains avec un vélo, j’ai décollé de Milan vers 9h. Avec un itinéraire recopié de la carte d’un long is the road de passage dans la gare de Bologne, j’ai pointé vers le nord. Les directions que je devais emprunter ont disparu de mon itinéraire, et avec des renseignements demandés à la population locale, je me suis retrouvé à Luino, sur le bord du lac majeur. Le décor vaut le détour, on se croirait à Monaco. Le lac, les palmiers et les grosses voitures. J’ai contourné le lac, suis passé en Suisse, j’ai trouvé un terrain de camping dans le bas de l’ascension vers le Simplon.
Après une petite crevaison, je suis repassé en Italie (toujours sur la montée). En haut du col, à nouveau la Suisse.
La vallée est M-A-G-N-F-I-Q-U-E.
Vendredi 20 : di-Ré – Sion : 136km.
Dimanche matin, 10h00
Samedi : Sion – Dôle 254km.
J’ai bien roulé hier de Sion à Dôle (Jura). Après être passé du Pô au Rhône, à travers les Alpes, il fallait passer du Rhône à la Saône, à travers le Jura. Pas de difficultés majeures, les jambes vont bien et j’étais même surpris de tirer encore gros hier soir. J’arrive encore à trouver des cyclistes avec qui rouler.
Maintenant, j’ai le vent dans le nez. Paris est encore à 300km et je devrai prendre le train avant ce soir.
Je suis content ; ça laisse des souvenirs et ça aura été une belle aventure.
Dimanche : Dôle – Montbard (département de l’Yonne) – 132km.
A midi, j’ai un genou en vrac. Je me vois faire le calcul : ce genou, dommage, car bon, rouler la nuit c’est dangereux, mais je peux rouler jusqu’à Paris pour reprendre le travail demain matin. Finalement, je reprends le train. Ai-je pris le métro de la gare de Lyon à La Varenne ? Je ne me rappelle plus.
Je pense qu’il m’a fallu quelques jours pour récupérer.
En conclusion, je voudrai simplement exprimer combien une telle expérience laisse de souvenirs pour toute la vie, combien de fois je me suis dit « le refaire, mais bien et sans prendre aucun train », ou bien « le refaire, mais dans l’autre sens autour de la Méditerranée.
Je couche ces quelques feuilles manuscrites sur un support partageable 25 ans après, j’y apporte ces commentaires.
Jean-Michel O
S’agit-il du marathon du Lac Majeur à Arona en Italie qui aurait lieu le 2 Novembre 2025 ?
Pourquoi pas le marathon d’Istanbul qui aura lieu le 2 Novembre 2025.