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Sur ‘Rue 89’ un philosophe réhabilite le jogging : « Je cours donc je suis ».

rue89.png Pour Guillaume Le Blanc, courir est une énigme profonde. Ce    n’est  pas juste le symptôme d’une société hyper mobile.

Ce que je trouve fascinant dans la course, c’est que ces personnages conceptuels sont réels. Ils existent et ils inventent une fiction : celle de la course à pied. On court dans un espace qui n’est pas destiné à la course, initialement. La ville est faite pour les voitures. Pour les piétons éventuellement.

 

C’est cela aussi qui m’intéresse dans les courses organisées, les marathons ou les semi-marathons. C’est qu’à un moment donné les voitures ne passent plus. La ville se voit réordonnée par cette hallucination collective qu’est la course. Une épreuve que chacun vient disputer, non pas pour la gagner, mais pour ressentir dans son corps ce que les autres à côté de soi ressentent.

On est à la fois seul et avec d’autres. C’est ce que recherchent les coureurs pendant les courses, cette expérience de la meute.

 

La course à pied est pourtant une activité controversée. On la présente souvent comme signe d’un monde qui va trop vite…

Aujourd’hui, c’est certain que nous sommes dans une société de la mobilité. On a une norme de vitesse, de performance qui exige des sujets qu’ils soient vifs. Un bon travailleur, c’est quelqu’un qui répond vite à ses mails, qui se déplace rapidement.

A tel point qu’on a l’impression que le coureur serait un symptôme de nos sociétés. Courir, ce serait la preuve qu’on est dans la normalité puisqu’on a rejoint la vitesse du monde.

Il est certain qu’il y a une pression sociale à la course. On voit les grandes entreprises envoyer leurs cadres performants dans les marathons.

Le coureur se situe dans la vitesse, dans les flux mais il essaye d’en faire quelque chose, quitte à ralentir le rythme de la vie aussi. Quand on court à douze kilomètres/heure, on est déjà dans une épreuve de lenteur paradoxale, par rapport aux voitures qui vous doublent. C’est donc pourquoi il serait absurde de penser la figure du coureur comme le décalque de ce monde hyper mobile.

 

Vous évoquez aussi l’incertitude de la course. On ne sait jamais en la commençant si on va pouvoir la finir et dans quel état on va la finir. Pourquoi êtes vous intéressé par cette dimension ?

C’est une leçon de contingence radicale. Je m’embarque dans quelque chose dont j’ignore l’issue. Je peux me la représenter mais ce qui se passe dans la course est toujours plus intéressant que ce que j’imaginais au départ. Ce peut être un détail, une parole échangée avec un coureur, le surgissement d’une fanfare dans un virage. Il y a toujours de l’imprévisible qui surgit et qui ramène à cette dimension de la contingence.

 

De l’addiction à la course, vous dites que c’est une manière positive de prendre conscience de son corps.

Il y a un état de manque quand on cesse de courir pendant un certain nombre de jours. Pour des raisons hormonales, l’addiction est très présente dans la course. Mais je crois que cette expérience est primordiale. Pendant longtemps, il y a eu un tabou autour de l’addiction.

Peut-on exister uniquement en soi-même et par soi-même ou est-ce qu’il ne faut pas se brancher sur des énergies extérieures ou sur des rythmes pour se sentir exister ? Oui, il y a une addiction qui se construit. Mais l’addiction peut aider à vivre.

 

Et vous, depuis quand courez-vous ?

Je cours depuis que j’ai 13-14 ans. Par hasard. Un des meilleurs amis de mes parents faisait des marathons. Il allait dans d’autres pays et il s’était mis en tête de nous faire courir avec mon frère. Il nous prenait pour aller courir avec lui.

C’était toujours une épreuve redoutée. Non seulement on courait, mais dans le Lot où nous étions, ça grimpe. Dans les montées, il nous parlait de ce qu’on avait lu, de qu’on voulait faire plus tard. On a repris le même exercice quand on est devenus étudiants à Toulouse, où il habitait. On allait courir dans le coteau. Aujourd’hui, mon frère et moi, nous courons tous les deux.

L’été, je cours quasiment tous les jours. Là, j’essaye de maintenir trois, quatre sorties par semaine, dont une plus longue.

 

Qu’est-ce qui vous attire dans la course ?

Il y a quelque chose d’un peu masochiste dans la course. On cherche un type de bien-être, lié à une expérience de douleur. Il y a aussi cette dimension du passé-composé dans la course. « J’ai couru. »

Parce qu’après, il y a une forme de sérénité que je vois comme une forme de médecine.

 

Mais après quoi courez-vous ?

Alors ça c’est la grande question (rires). Il me semble qu’on court toujours après une certaine idée de la course. Elle se jouerait dans la course mais elle n’arrive sûrement jamais.

Je cours après quelque chose que je n’arrive jamais à rejoindre. C’est ça qui donne envie d’y retourner. C’est une énigme. C’est important de reconnaître que c’est une énigme profonde. Parce qu’on ne peut pas dire qu’on court après un type de plaisir. Il y a du plaisir mais c’est un plaisir très étrange. Il y a de la douleur aussi.

Moi je crois que courir, c’est se créer une petite figure pour soi que l’on emporte dans l’espace extérieur. Peut-être qu’on court pour éprouver cette transition continue entre le dedans et l’extérieur. Si je savais vraiment après quoi je cours, peut-être que j’arrêterais de courir.

 

Vous parlez de la course comme d’un appel au néant. Est-ce à dire que la course confronte à la mort ?

Je crois qu’à un certain moment quand on court, on est au bord de quelque chose comme le néant. Je ne dirais même pas que c’est la mort, mais c’est une expérience très troublante du rien.

Dans le marathon, en tout cas, il y a un moment où l’énergie qu’on a en soi n’existe plus. Quand on a commence à courir, on est optimiste. On pense qu’on pourra disposer de son corps, qu’on pourra faire appel à sa volonté. Et puis cette provision disparaît progressivement.

Tous les marathoniens racontent que vers le trentième kilomètre, cette énergie disparaît. Il n y’a plus rien. C’est le moment où l’on voit des gens qui s’arrêtent au bord de la route, qui pleurent, qui vomissent, qui sont dans des états seconds.

Et c’est très étonnant de se rendre compte que sa vie repose sur un stock énergétique qui n’est pas disponible à l’infini. Il y a là une finitude radicale. Alors, oui, on peut dire que courir, c’est sentir que l’on est mortel. Notre énergie n’est pas disponible à l’infini.

 

Est-ce pour cela que vous dites que la course est un vœu de pauvreté ?

Pour courir, il faut un peu faire vœu de pauvreté. Comprendre qu’on ne fait que passer. Quand on court, on comprend ce que ça veut dire qu’être de passage. Au sens propre du terme.

Pour lire l’intégralité de l’article dont certains passages ont été ici coupés : http://www.rue89.com/2012/10/18/je-cours-donc-je-suis-le-philosophe-qui-rehabilite-le-jogging-236174

3 Comments

  1. philcrux

    Une pensée bien philosophique sur notre sport mais intéressante…plus simplement , courir n’est il pas le propre de l’homme depuis ses origines ?

    Seul son sens à évoluer au cours de l’humanité.

     

    PhDel.

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