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Les 100 kilomètres de Millau 2017 : Mes amis, mon amour, mon bonheur…

 

Deux semaines après vous avoir emmenés courir dans Paris sur les traces de Jacques Dutronc, je paraphrase Charles Aznavour en intitulant ce récit « Mes amis, mon amour, mon bonheur », pour tenter de vous faire partager ce que j’ai vécu pendant ces
100 kilomètres de Millau 2017.

 

Les 100 kilomètres de Millau sont une course à part dans le monde de la course à pied, pour plein de raisons. En vrac :

  • un parcours atypique sur cette distance, car très vallonné (un peu plus de 1 000 mètres de dénivelé), surtout sur la seconde partie de la course (du km 42 au km 100), et ayant la particularité de faire revenir sur ses pas dans la seconde partie de la course (qui est un allerretour Millau-Saint-Affrique) : ce qu’on a monté et descendu pour aller vers Saint-Affrique, on sait en en repartant qu’il faudra le remonter et le redescendre dans l’autre sens… et parfois, on se dit que ça peut avoir du bon de ne pas savoir ce qui nous attend ! ;
  • pas de prime pour les vainqueurs, mais exactement la même récompense d’arrivée pour tous ;
  • une victoire qui se joue habituellement autour des 7 heures de course, mais une limite maximale fixée à 24 heures, qui fait que l’on trouve « un peu de tout » : des coureurs affûtés qui vont courir en 7, 8, 9, 10 heures, certes, mais aussi des coureurs et des marcheurs qui paraissent plus ou moins en forme et qui partent pour la journée et toute la nuit (ou presque), et même (si si, j’en ai vu cette année…) des gens avec des palmes ou des crocs… ;
  • des centaines de bénévoles ultra dévoués qui, eux aussi, passent de longues heures (toujours avec le sourire) à faire la circulation par tous les temps, ou à servir sans relâche, boissons glucosées et coca, pâtes de fruits et raisins secs (classique), mais aussi bières, soupes et tartines au pâté ou au roquefort… ;
  • et un partage, une solidarité entre coureurs qui, je trouve, ne sont à Millau pas « juste des mots ».

Les 100 kilomètres de Millau sont aussi une course à part, pour moi en particulier, et pas uniquement dans ma vie de coureur mais dans l’ensemble de ma vie. Je les ai découverts par l’intermédiaire d’un ami originaire de Saint-Affrique qui était « tombé dedans quand il était petit » en voyant les « fous » passer en bas de chez lui, qui les avait courus 3 fois dont la première fois âgé d’à peine 20 ans (!) et qui devait y participer à nouveau en 2007, année où, malheureusement, il est décédé accidentellement au mois de juillet. Avec plusieurs de ses amis, nous avons à partir de cette année-là décidé d’honorer sa mémoire et son amour pour cette course et de continuer à faire vivre cette amitié, en y participant ensemble.

Certains de ces amis n’ont, depuis cette date, raté aucune édition (!). Pour ma part, j’avais couru en 2007 mais n’avais pas pu finir la course (dépassé par sa dureté et par le poids des émotions), à nouveau en 2008 puis 2011 où j’étais parvenu à finir, et j’avais accompagné mes amis comme suiveur à vélo en 2009 et 2010 (où j’avais découvert que le rôle de suiveur à vélo, loin d’être une sinécure, est un véritable sacerdoce qui malgré le caractère limité de l’effort physique demande courage, abnégation et aptitude à résister au froid avec une dépense d’énergie réduite). Mais je n’étais pas retourné à Millau depuis 2011, happé par des obligations professionnelles souvent fortes à cette période de l’année, mais aussi par besoin de souffler quelque temps, physiquement et moralement, même si en pensée j’étais à ce moment-là toujours avec mes amis présents à Millau.

Dix ans après la disparition de notre ami et après ma première participation, être présent au départ (et, si possible, à l’arrivée…) à l’édition 2017 des 100 km de Millau était quelque chose d’important. Ma préparation, avec le soutien de ma femme malgré les contraintes que cette passion fait peser sur la vie familiale, s’était très bien passée ; et surtout, j’étais serein psychologiquement, heureux d’être là et décidé à vivre pleinement cette fête des 100 km de Millau avec mes amis et tous les participants. Et même les prévisions météorologiques, évolutives au cours des jours précédant la course mais annonçant plutôt une journée pluvieuse (avec des précipitations plus ou moins fortes et durables selon les sources et les moments) ne pouvaient pas entamer ma confiance avant le départ !

A 10 heures, le départ est donné par la ministre des sports Laura Flessel, qui juste avant fait un beau discours, très applaudi, sur sa volonté de développer autant le sport amateur, le sport santé que la pratique de haut niveau et son souci que l’obtention des Jeux Olympiques par Paris en 2024 permette de développer le sport pour tous. Sa présence au départ des 100 km de Millau était, a-t-elle dit, le signe de son intérêt pour le sport amateur.

Mais bon, on n’est pas venus là pour écouter des discours, aussi intéressants soient-ils, et donc, je disais, le départ est donné. A Millau, la sagesse populaire dit : Qui va piano va sano. Donc, j’y vais piano. Pianissimo, même, car la même sagesse populaire dit aussi qu’on n’est jamais trop prudent sur la première boucle. Pour moi pianissimo cela veut dire ne pas dépasser (se forcer à ne pas dépasser, car courir lentement demande un gros effort de volonté) les 9 – 9,5km/h. Mes amis sont partis devant, car mon rythme piano à moi l’est vraiment trop pour eux, et il y a un stade où trop de lenteur peut devenir problématique…

 

Vers le Viaduc

Vers le Viaduc

Au km 7, alors qu’une pluie fine commence à tomber, je retrouve mon accompagnatrice à vélo, j’ai nommé ma très dévouée épouse que je remercie ici vivement (en plus des remerciements de vive voix, bien sûr), et nous progressons tranquillement le long du Tarn en discutant et en faisant en sorte de ne pas tomber dans le piège de l’accélération inconsciente. Vers le km 15, la pluie s’intensifie, jusqu’à devenir vraiment très forte à partir du km 25. Mais en courant il ne fait pas froid, et j’ai le bon équipement qui me permet de rester sec. Je termine la première boucle (le marathon) en 4 heures 55, en ayant la sensation d’avoir fait ce qu’il fallait : ne pas puiser dans les réserves, ne pas prendre froid et faire le dos rond en attendant le retour du soleil, ou en tout cas la fin de la pluie (que les bruits du peloton annoncent vers 17, 18 heures…). En revanche, pour ma femme (qui supporte habituellement mal le froid) c’en est trop, et même le plus odieux des maris ne saurait obliger sa femme à rester douze heures sur une selle de vélo en avançant à deux à l’heure et en grelottant sous une pluie battante… Je la rassure en lui disant que je ne lui en voudrai pas longtemps de me laisser continuer sans elle (pas plus de dix ans, promis), et puis un des amis qui jusqu’ici avait suivi le groupe de devant a la gentillesse de m’attendre et de prendre le relais dès la sortie de Millau.

Vers le Viaduc en souriant

Vers le Viaduc en souriant

 

Sortie de Millau, km 42, direction Saint-Affrique à
29 km de là, avec deux réjouissances principales au programme : en mise en bouche, la côte du viaduc, longue de 2 km, qui fait passer sous le fameux viaduc de Millau pour atteindre le km 50 ; et en plat de résistance, la côte de Tiergues, 5 km d’ascension qui font peur même aux plus costauds. Sans forfanterie, la côte du viaduc passe toute seule, et même avec le sourire (la preuve, en image). La pluie se fait moins forte, il n’y a plus maintenant que des averses, fortes et fréquentes, mais moins désagréables que la pluie en continu. Je commence à sentir un peu mes genoux dans les descentes, mais tout va toujours globalement très bien. Puis la côte de Tiergues, que je grimpe d’un bon pas régulier, passe bien aussi, de même que la descente jusqu’à Saint-Affrique, même si mes genoux commencent à me dire qu’ils n’aiment pas trop ça… Km 71, 8h30 de course environ, tout se passe toujours bien.

 

Un caillou dans la chaussure

Un caillou dans la chaussure

Arrivé à Saint-Affrique, bonne surprise, j’ai grignoté une partie de l’avance de mes amis partis devant, sans doute un peu trop vite, et avertis de mon arrivée prochaine ils ont eu la gentillesse de m’attendre pour que l’on reparte et finisse ensemble. Ce que nous faisons, enfin sans pluie, mais en sachant bien que le plus dur reste à faire.

Départ de St Affrique

Départ de St Affrique

 

D’abord la côte de Tiergues, qui passe à nouveau bien dans le sens de la montée ; en revanche le rythme baisse un peu dans la descente, avec les genoux qui couinent de plus en plus. Mais, que je coure à 7, 8, 9 ou
10 km/h dans la descente, je constate que ça couine pareil, alors j’essaie de maintenir la vitesse la plus élevée possible en serrant les dents… Vers le km 83, mon suiveur m’apprend que ma femme nous attend au ravito du km 88, je retrouve un peu de pêche pour aller profiter au plus vite de ce soutien. Km 88, retrouvailles, forces décuplées (au bas mot) pour attaquer la dernière difficulté de la journée : la remontée vers le viaduc. La montée se passe à nouveau bien, en revanche dans la descente cela devient dur mais je sais que je tiens le bon bout.

 

A partir du km 95, chaque km est indiqué : chaque panneau est une délivrance, surtout le 99 évidemment, et le dernier km est un vrai bonheur. Serrage de mains, félicitations entre nous et aux deux ou trois coureurs que nous dépassons ou qui nous dépassent, embrassades… Nos suiveurs prennent un peu d’avance pour poser leurs vélos et franchir la ligne d’arrivée avec nous, car ils ont mérité autant que les coureurs de franchir cette ligne et de profiter de ce grand bonheur partagé.

 

Le vainqueur Jérôme Bellanca est arrivé il y a belle lurette (en 7h04’01), quand nous finissons main dans la main, en 12h56’26 et en 604ème position sur 1244 arrivants (le dernier, V3, arrive cette année en 22h32’01). Pour l’anecdote je mets 4 minutes de plus que mon meilleur résultat de 2011, mais alors vraiment sans aucun regret car cette édition 2017 aura été, pour moi et de très loin, beaucoup plus sereine et heureuse.

 

Voilà, ce récit était sans doute un peu (beaucoup) trop long, mais si vous avez eu la patience et la gentillesse de le lire jusqu’ici, vous aurez compris pourquoi je l’ai intitulé « Mes amis, mon amour, mon bonheur »… Vive l’amitié, vive l’amour, vice le sport, vive Millau… vive la vie en somme !

 

3 Comments

  1. Thierry

    Stéphane,
    Ce sont parfois les épreuves au cours de la vie qui nous portent dans notre passion à l’abnégation, à essayer, à revenir, à avancer, à faire davantage …..’Vive la vie, en somme !’ Je suis bien d’accord

  2. Daniel

    Beau commentaire qui mérite le respect, autant pour la performance sportive que pour l’idée de perpétuer de cette manière la mémoire d’un copain disparu. Chapeau !

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