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Le trail du bout du monde par Christian Mabon

Pourquoi me suis-je inscrit ? Je me souviens très bien, c’était le 5 avril à 8h précisément, soit 2 jours après le marathon de Cheverny. J’étais ravi de mon résultat, 3h53, beaucoup mieux qu’au marathon d’Amsterdam, 4h08. Comme quoi, un entraînement régulier, un objectif. Alors, je me suis posé la question, pourquoi ne pas aller au-delà du 42 ème kilomètre, au-delà de cette frontière jamais dépassée en 30 ans de course ?

J’ai navigué sur les sites spécialisés, cherchant un trail de cette distance, mais sans trop de dénivelé. Mon premier choix se porta sur le trail de l’Archange, 55 km et 900 m, mais celui-ci fut annulé. Le bout du monde fut donc mon choix.

Je réserve une chambre, une voiture, en location à la gare de Brest, et le billet de train très rapidement. Puis, je me lance dans une préparation sur des sorties longues, les doublant le week-end avec l’équipement complet. J’en ai profité pour vous envoyer quelques photos pendant ces deux ou trois heures d’entraînement solitaire. Peut-être m’a-t-il manqué quelques séances de côtes ? Je profite également d’une sortie organisée à Fontainebleau, aux 25 bosses, par le club pour m’entraîner sur un parcours plus exigeant.

A mesure que la date se rapprochait, l’appréhension, voir la peur me saisit, je savais que cela allait être difficile, très difficile. L’arrivée à Brest se fait avec une demi heure de retard, et je n’ai que peu de temps pour récupérer la voiture, aller au site d’arrivée pour le retrait du dossard. Déjà, j’étais déjà le dernier participant à me présenter, mais mission accomplie, j’ai mon dossard. Je me rends plus tranquillement à la chambre d’hôte, et je fais la connaissance de mon hôte.

Au fil de la discussion, j’apprends que c’est un ultra trailer, qu’il a couru les trails les plus difficiles la planète, l’Ultra Trail du Mon Blanc, la Diagonale des Fous à la Réunion, des épreuves hors normes. Je me sens un peu ridicule devant lui, pour la première fois sur un 57 km. Nous discutons toute la soirée, bien sur course à pied, marathon, trail, et surtout, il me donne de précieux conseils que je n’ai pas oublié le lendemain. Pour préparer le retour, nous prenons chacun notre voiture et il m’accompagne sur le site d’arrivée. Ainsi je retrouverai la voiture le lendemain.

Le matin, après un petit déjeuner copieux à 6h, il m’emmène sur le site de départ. Là, commence l’attente, je commence à boire, plus d’un litre et demi d’eau si je compte bien. Je regarde les autres participants et je suis très impressionné par les profils, le physique, les visages bronzés, très différent d’un marathon. Je regarde le nom des clubs, les couleurs des maillots, les équipements de chacun, je me sens un peu perdu dans ce milieu que je découvre pour la première fois.

Ça y est, le départ est donné à 8h, le soleil est déjà haut, et la dernière fraîcheur de la nuit disparaît progressivement. Je me place volontairement dans les derniers pour ne pas être emporté par le rythme. Les 10 premiers kilomètres se font agréablement dans les bois de Ste Anne, trois belles côtes sont au rendez vous, mais les embouteillages permettent de reprendre le souffle. Le sol est meuble, élastique, la forêt protège les coureurs du soleil, un petit bonheur de se retrouver dans cette forêt. Au 11 ème, le parcours m’emmène cette fois sur la côte, sur le GR34 par un escalier raide, et le soleil m’accueille. Je sens une vague de chaleur sur ma peau, et aussi un vent frais. Le chemin côtier est rapide, peu de dénivelé, je cherche à maintenir une petite allure, ne pas trop accélérer, mais je me rends compte, après quelques calculs que la barrière horaire du 37 ème fixée à 5h est proche. Alors, je maintiens un petit rythme pour tenir cette barrière. C’était mon premier objectif. Au 25 ème, le premier ravitaillement, j’avais 15 minutes d’avance sur cette fameuse barrière. Je me sentais bien. Ces kilomètres, entre chaleur et vent, entre mer et terre furent peut-être les plus heureux. Mon hôte, présent, car le lieu du ravitaillement était à 100 mètres de chez lui, a pris quelques photos.

Je mange avec appétit, bois à profusion, remplit mes poches de gruyères, abricots, fruits secs en prévision des 12 suivants. Je me dis, assez naïvement que si les douze prochains kilomètres étaient comme les précédents, alors, l’objectif des 37 km en 5 heures serait atteint facilement. Je déchante assez vite. Le parcours se révèle plus compliqué, avec des successions de pentes, de descentes assez raides, des escaliers. La chaleur devient étouffante, pèse sur les visages des autres coureurs, je ressens cette chaleur sur ma peau, mon visage me brûle quand le parcours traverse une plage abritée du vent sur plus de deux kilomètres.

Mais le pire allait venir, les crampes. Les premières alertes sont dans les mollets. Je n’arrive plus à avancer, la douleur est extrême, une véritable décharge électrique. Je me mets à marcher en tendant les jambes pour étirer les mollets, et peu à peu la douleur disparaît. Je me remets à courir, d’abord très lentement, attentif à la progression de la douleur. Les escaliers, les montées sont les plus difficiles. Appuyer pour monter me cause de véritables décharges électriques, la jambe, le pied ne bougent plus. Je reste ainsi au milieu d’une marche pendant plus d’une minute, attendant de retrouver l’usage de ma jambe. Puis les muscles des cuisses deviennent aussi douloureux. Je marche, le plus rapidement possible pour détendre les muscles, la douleur s’efface, et je reprends la course. J’insiste, car le temps limite se rapprochait, et je ne peux plus accélérer, les montées sont une véritable souffrance, les escaliers, l’horreur, et les descentes, l’enfer. Les quelques mètres de plat me permette de reprendre une petite allure, mais je sentais cette douleur revenir toujours. Le sentier côtier monte et descend en quasi-permanence sur 10, 20 ou 30 mètres maximum avec de la roche, des grands escaliers.

Au 30 ème, le sommet du phare apparait au-dessus de la lande, mais je voyais mon avance fondre. Mes calculs m’affolent, car je vois le moment où je serais au-delà de la barrière. Je panique, alors, malgré les crampes, la fatigue, la chaleur, je me reprends, je tiens une petite vitesse pour arriver. Je me souviens encore, les derniers instants, un dénivelé, quelques mètres seulement, je m’accroche, je regarde ma montre, 4h58, et j’accélère encore pour passer la ligne du 37 ème finalement en 5h03.

e m’effondre quasiment au ravitaillement. Après une dizaine de minutes assis sur une chaise, un peu hébété, je passe sous une douche, plutôt un jet d’eau pour me rafraîchir pendant plusieurs minutes, enlever la poussière, la sueur, sentir le contact glacé de l’eau. Ensuite, direction le ravitaillement. Je grignote des gâteaux salés, sucrés, des fruits secs, encore du coca, de l’eau. A 13h30, un bénévole annonce la fermeture du ravitaillement, ceux qui restent abandonnent. J’aurais aimé rester encore un quart d’heure, je sens les forces revenir, mais impossible. J’hésite, je ne sais que faire. Si j’abandonne maintenant, je le regretterai longtemps, je le sens, j’aurais besoin d’un quart d’heure de plus pour récupérer, même si cela fait une heure au total de repos, j’en sens le besoin.

Mais, après avoir passé cette barrière, avec les efforts fournis, je ne peux dire, j’ai abandonné. Alors je reprends le chemin du 20 km. Cette fois, le paysage change, c’est la campagne, presque sans dénivelé, mais sous un soleil de plomb. Je cours de conserve avec un autre rescapé de la barrière pendant quelques kilomètres, le soleil m’éblouit. Je sens que ce repos m’a fait du bien, je trottine jusqu’au 41 ème en m’arrêtant de temps en temps lors d’une côte. Les crampes ont presque disparu. Au 42 ème, je marche, épuisé. Je marche néanmoins rapidement, doublant certains coureurs même, mais me faisant doubler également. Les crampes reviennent sur le chemin côtier, les marches, les montées qui s’enchainent sur des chemins sablonneux, tout cela réveillent les crampes. Cette fois, c’est douloureux quand je lève le pied pour attaquer une marche. Je marche jusqu’au 49 ème alternant quelques foulées pendant quelques minutes pour détendre les muscles, puis allant très lentement dans les montées, les descentes, le plat est rare. Enfin, je vois la tente du ravitaillement du 49 ème. A mon arrivée, une bénévole me demande si je vais bien. Je ne devais pas être beau à voir. Elle appelle un secouriste. Il me prend la tension, le rythme cardiaque, le pouls, essaie de me persuader d’arrêter, me montre l’ambulance avec un coureur à l’intérieur. J’ai encore bu de l’eau gazeuse, plusieurs verres, me suis assis sur la table et j’ai discuté pendant un quart d’heure avec le secouriste. Finalement, je me suis levé, lui ai dit que je repartirai. Là, je me suis dit 8 km, ce n’est même pas un entraînement avec les collègues. Je me souviens des derniers mots du secouriste, « on se reverra à l’arrivée », glaçant.

J’ai repris le chemin côtier, j’étais le dernier cette fois. Curieusement, je me sentais mieux. Je trottine, et j’aperçois au loin un groupe de trois coureurs qui sont partis avant moi du ravitaillement. Alors, je me suis fixé comme objectif de les rattraper. Je cours tranquillement sans effort, je ne fais presque plus attention aux crampes, je m’habitue à la douleur. Finalement au 52 ème, je rattrape et double le groupe. Sur les trois, un seul est vraiment épuisé, cela se voit sur son visage, les deux autres l’encouragent, le guident. Je cours un km avec eux, puis les dépasse. J’ai vu au loin un autre coureur, mais très loin.

Je traverse Le Conquet comme un extra terrestre, dans ce port, parmi ces vacanciers. Enfin, sur un promontoire, je découvre le phare de St Mathieu, l’arrivée, je suis encore au 55 ème Je continue à trottiner jusqu’au 56 ème en fixant le phare, le voyant se rapprocher. Mais je suis épuisé, je marche, je suis à bout, il ne me reste pourtant qu’un kilomètre à faire, un seul. Je passe, en marchant, les parkings, je vois la voiture qui m’attend, un peu seule. 800 m et je marche toujours, car il y a une dernière côte. Je la monte difficilement et enfin le tour du phare en courant, des petites foulées certes, mais en courant toujours, j’en peux plus. 400 m et j’entre dans l’enceinte. Puis j’aperçois le tapis du chronomètre, je pose un pied dessus, l’autre au delà, et… c’est fini… A moitié inconscient, j’entends mon nom, le nom du club et mon temps, 9h15.

10 Comments

  1. OMNES

    Bravo Christian, j’ai souvent pensé à toi car c’était mon parcours d’entrainement ces 15 derniers jours du Conquet, Lochrist à Kerhyunan on était ds les 10 12 km. Pas facile le GR 34;
    Bonne récup

  2. Christian Pallandre

    La Bretagne brûlante de soleil et de montagnes qui plongent dans la mer. Ce que tu as fait est admirable et je ne parle pas seulement de l article . Voici un brave. Christian

  3. Olivier C.

    Encore une superbe épreuve bretonne que ton récit donne envie de connaître..Tu as dompté le bout de la terre et le bout du marathon en cassant la limite des 42 km à une belle allure. Va t on te voir sur les UT, revenir sur la route courte et classique, ou bien les 2 😁 ? Bravo en tout cas !

  4. Daniel C

    Belle leçon de persévérance dans l’effort, pour aller jusqu’au bout … du monde. Bravos
    Un palier de franchi pour s’attaquer à plus long, plus haut, pour le plus vite ce sera une option

  5. Vincent

    Très belle expérience de volonté et de persévérance.
    Bravo Christian pour être allé au bout dans des conditions très difficiles et avoir dompté ce Trail du bout du monde. Un bel exemple pour chacun de nous.

  6. De Roo Nathalie

    Bravo Christian, on a vibré avec toi en lisant cet article, ne sachant pas jusqu’au dernier moment si nous allions ou. On arriver avec toi jusqu’au bout. Bravo

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